Appel à la Franche-Comté
Comtois, rends-toi !
Nenni, ma foi. Quand je passe devant une maison, une
mairie ou une institution arborant le lion d’or sur fond bleu, à la céleste
couronne, je ne peux m’empêcher de songer à la devise immémoriale qui ne cesse
de nous rassembler depuis de nombreux siècles déjà. Oui nous, Franc-comtoises
et Franc-comtois, continuons de partager une destinée commune, forts d’une
histoire et d’une culture qui nous ont appris à défendre notre liberté et notre
indépendance quand la convoitise des puissants les mettaient en péril. Aujourd’hui,
quand je vois sur certains de nos bâtiments communaux, de nos lycées, de nos
administrations territoriales, flotter cette voile qui ne nous inspire rien, ce
sinistre étendard qui nous regarde de son œil mauvais comme s’il se moquait de
nous, ce drapeau où notre lion est contraint de partager sa place avec les
armoiries des ducs de Bourgogne, j’éprouve une douleur insupportable.
Longtemps, j’ai cru que ce
sentiment de mal-être ne concernait que quelques-uns d’entre-nous. Qu’après
tout, le problème venait sans doute de moi. On prétend souvent que la nostalgie
est mauvaise conseillère. En l’occurrence, à l’époque de la fusion des régions,
l’origine de notre mal, j’avais à peine 10 ans. Cela fait 8 ans déjà…8 ans où
j’ai eu le temps de me rendre compte que cette souffrance, nous sommes nombreux
à la partager sur les terres comtoises. A en croire l’enquête réalisée par
l’institut Opinion Way (du 21 au 25 février 2022)[1],
nous serions 60% à souhaiter rompre avec la Bourgogne pour retrouver notre
région, qui n’a jamais cessé d’exister dans nos cœurs. Ce chiffre important n’a
sensiblement pas évolué depuis 2015, où seulement 37% des Franc-comtois se
déclaraient satisfaits de la fusion avec la Bourgogne.[2] Au
regard de ces chiffres qui traduisent l’opposition incontestable des
Franc-Comtois à l’entité administratico-politique à laquelle ils appartiennent
désormais, les esprits raisonnables se demanderont sans doute : «Comment la
fusion a-t-elle bien pu avoir lieu ? ». La réponse à cette question est
d’une limpidité tragique : parce que nous avons été trahi. Cette affirmation
pourrait en choquer plus d’un par sa brutalité, j’en conviens. Mais, puisse le
lecteur attentif daigner examiner les raisons qui me poussent à établir un tel
jugement, aussi violent soit-il.
La loi relative à la
délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et
modifiant le calendrier électoral a été adoptée par l’assemblée nationale le 17
décembre 2014, à une époque où le parti socialiste disposait d’une majorité
dans les deux chambres du Parlement (une première dans toute l’histoire parlementaire
de la Vème République). Elle visait notamment à porter le nombre de régions
métropolitaines de 22 à 13, en procédant à la fusion de la quasi-totalité des
régions existantes. Mais quelles pouvaient donc être les motivations d’une
telle loi ? Renforcer la démocratie locale en rapprochant le pouvoir
des citoyens, conformément au principe de subsidiarité consacré par le droit de
l’Union européenne ? Favoriser l’émergence de régions à forte identité
culturelle ? Remettre l’humain au cœur de la politique des collectivités
territoriales ? Que nenni ! L’étude d’impact qui a été présentée aux
parlementaires[3]
est sans ambiguïté, la loi prévoyant de « doter les régions françaises
d’une taille critique qui leur permette d’exercer à la bonne échelle les
compétences stratégiques qui leur sont attribuées, de rivaliser avec des
collectivités comparables en Europe et de réaliser des gains
d’efficience »[4].
En bref, il s’agissait de mettre l’humain au placard en faisant des économies sur
le fonctionnement des régions, tout en affirmant s’inspirer du modèle européen,
et en particulier du modèle allemand. Bernard Cazeneuve, alors Ministre de
l’intérieur du gouvernement Valls, s’est
néanmoins empressé de préciser devant les députés que [l’objectif de la
loi n’était pas] « de créer des régions identitaires, comme peuvent
l’être la Catalogne en Espagne, le Piémont en Italie, ou la Bavière en
Allemagne, mais des régions économiques à la fois puissantes et respectueuses
des identités locales »[5].
Impossible donc de ne pas rendre un hommage solennel à cet homme dont la
clairvoyance ferait pâlir le devin Tirésias lui-même. Après huit ans de fusion,
la région BFC demeure la région avec le plus faible PIB par habitant de France
métropolitaine avec les Hauts de France. En règle générale, force est de
constater que les régions qui étaient économiquement puissantes[6] le
sont restées après la réforme, qui a moins renforcé leur économie que l’orgueil
et l’ambition des présidents de leurs exécutifs. Quant au respect des identités
locales dont il était question, comment ne pas s’empêcher de rire ? La
Franche-Comté, qui formait une entité politique, administrative, culturelle et économique
depuis des siècles, a été rayée de la carte d’un trait de crayon. Où est donc
le respect de l’identité locale dans la destruction d’une région qui
préexistait à la France moderne?
Ce respect, peut-être a-t-il
été transmis à l’Allemagne puisqu’après tout c’était pour lui ressembler que la
France a enterré ses régions ? Il faut pourtant dire que si les
socialistes se sont inspirés de la taille des Länder allemands, ce n’étaient
pourtant pas pour y reprendre le fédéralisme, un mot qui provoque des nausées à
n’importe quel jacobin qui se respecte. De toute manière, l’Allemagne ne leur
avait rien demandé et n’avait pas besoin des ébats pathétiques du gouvernement
français pour alimenter son complexe de supériorité et son nationalisme, qui sont
restés inchangés depuis sa naissance en 1871.
Mais on pourrait m’objecter
que l’Allemagne n’était pas le seul modèle et que les socialistes ont mûrement
étudié les cas espagnols et italiens. Pourtant, il serait difficile de voir en
quoi la loi de redécoupage territorial a rendu grâce à nos voisins latins.
L’Espagne compte 17 régions, l’Italie 20, et ces deux Etats possèdent une
superficie inférieure à la France métropolitaine qui, avec 551 695 km2,
est le pays le plus vaste de toute l’Union européenne (loin devant l’Allemagne,
et ses 16 Länder). Par-dessus le marché, ce sont des Etats régionaux qui ont
tout fait pour mettre en place une organisation constitutionnelle à même de
préserver l’identité culturelle de leurs régions, précisément ce que les
socialistes ont refusé de faire (voir la déclaration de Bernard Cazeneuve
plus haut). La loi présentée par le gouvernement Valls au Parlement poursuivait
donc un objectif que ne partageait aucun des trois pays d’Europe de l’Ouest
comparables à la France d’un point de vue démographique. Et ils ont osé justifier
leur projet en arguant l’impérieuse nécessité (laquelle ?) de s’inspirer de
la taille des régions de ces trois pays fermement attachés au principe de
subsidiarité, alors même qu’ils consacraient par-là l’absolutisme jacobin le
plus nauséabond depuis plusieurs décennies. Mais s’il est une chose encore plus
incroyable dans cette histoire, c’est que la supercherie ne s’arrête pas à ce
subterfuge politique. Bien au contraire, elle n’y fait que commencer.
Et si je vous disais qu’en
plus d’avoir méconnu le principe élémentaire de toute démocratie qui se
respecte, en refusant de consulter les citoyens sur une question aussi grave que
la disparition des « anciennes régions », les socialistes avaient
également enfreint le droit international, et à dessein. C’est trop, c’est
trop, me répondrez-vous, avec un visage consterné ! Et pourtant, c’est bien le constat qui a été
dressé par certains juristes, en analysant la genèse de la réforme de 2014. Ainsi
en est-il de la maître en conférences spécialisée en droit public Elodie
Derdaele, autrice d’un remarquable article intitulé « la fusion autoritaire
des régions[7] »,
paru dans la revue juridique Civitas Europa[8]
en 2016 (revue qui ne possède aucun lien avec l’association catholique
intégriste du même nom ). L’universitaire y rappelle tout d’abord que les députés
ont refusé d’appliquer une loi de 2013 qui prévoyait une consultation
obligatoire des collectivités en cas de changement des limites territoriales
les concernant. Une disposition législative imposait par ailleurs une
consultation obligatoire des électeurs en cas de modification des limites des
régions et des départements ainsi qu’en cas de fusion. La disposition en
question a finalement été supprimée par un amendement du sénateur PS Michel
Delebarre, en réponse à l’échec du référendum sur la Collectivité territoriale
d’Alsace en 2013, la consultation des électeurs devenant alors facultative. Le
député UMP Hervé Gaymard avait lui-aussi proposé de supprimer cette obligation
un an plus tôt, signe que le jacobinisme est la chose du monde la mieux
partagée dans le système politique français, mais nous y reviendrons. Les
socialistes ont défendu leur refus d’appliquer la loi qu’ils avaient eux-mêmes
votée en invoquant l’adage « specialia generalibus derogant » («les
lois spéciales dérogent aux lois générales »), un subterfuge digne de
Houdini qui a pourtant été accepté par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Allenbach
de 2015.
Mais venons-en au cœur de
cette ténébreuse affaire : la violation substantielle de la Charte
européenne de l’autonomie locale, ce texte du Conseil de l’Europe signé le 15
octobre 1985 mais ratifié 22 ans plus tard en 2007[9]. Cette
convention internationale régit comme son nom l’indique le droit des
collectivités territoriales à l’échelle du continent européen. S’il ne fallait
retenir qu’un seul article parmi les 18 qui composent la Charte (hors protocole
additionnel), ce serait incontestablement l’article 5. Celui-ci stipule que « pour
toute modification des limites territoriales locales, les collectivités locales
concernées doivent être consultées préalablement, éventuellement par voie de
référendum là où la loi le permet ». Invoqué sans succès par les
parlementaires en 2014 dans leur saisine du Conseil constitutionnel, les sages
ayant toujours refusé d’apprécier la conformité d’une norme conventionnelle à
la Constitution, l’article aurait néanmoins dû être reconnu par le Conseil
d’Etat dans les recours contre les décrets d’application de la réforme
territoriale qui lui ont été soumis. En effet, Elodie Derdaele rappelle que,
depuis 2012, le Conseil d’Etat admet que les stipulations d’un traité peuvent
être utilement invoquées afin d’annuler un acte administratif, ou d’écarter son
application ou celle d’une loi, sous réserve qu’elles satisfassent deux
conditions. La première est évidente en cela qu’elle exige qu’il y ait une
incompatibilité avérée entre la norme internationale et la norme nationale. La
seconde, plus subtile, impose que seules les normes internationales prévoyant
des droits au particulier (ou des dispositions à effet direct s’il on emploie la
langue du droit) peuvent être soumises à la juridiction suprême de l’ordre
administratif. Et en l’occurrence, l’article 5 la Charte européenne de
l’autonomie locale respectait bien ces deux conditions dans la mesure où il est
une règle internationale imposant aux Etats signataires de consulter les
collectivités locales en cas de modification des limites territoriales les
concernant, en prévoyant une consultation référendaire facultative des
électeurs. Or cette règle est manifestement incompatible avec l’adoption de la
réforme de 2014, puisqu’aucune des régions devant faire l’objet d’une fusion
n’a été consultée. En toute logique, le droit aurait donc dû s’imposer au
Conseil d’Etat et le conduire à prononcer la nullité des décrets d’application
de la loi de 2014. Quel aubaine s’il en eût été ainsi ! Malheureusement,
force est de constater que le droit est parfois contraint de céder sa place à
l’hypocrisie politique la plus oublieuse des garanties démocratiques. Et qu’en la matière, le Conseil d’Etat choisit
rapidement son camp. Il a ainsi refusé d’appliquer l’article 5 de la Charte, en
arguant que lors d’un contrôle de conventionnalité il est le juge du contenu de
la loi et non de la procédure législative qui a conduit à son édiction, règle
qu’il a dû inventer un matin en regardant sagement le balcon de l’Elysée, pareil
au chien béat tout content d’avoir ramené un bâton à son maître. J’ignore ce
qui est le plus navrant dans cette histoire : qu’une institution aussi
jacobine que le Conseil d’Etat fasse du zèle pour plaire au Prince, ou que la
France continue de chanter sur un tas de fumier en ratifiant des conventions
internationales qu’elle refuse sciemment d’appliquer…
Le naufrage du droit ayant
été narré, il nous faut désormais passer à un point aussi douloureux que
nécessaire : le temps des responsabilités. Qui sont les responsables de
l’extinction de la Franche-Comté et de toutes les autres régions historiques,
si ce n’est les jacobins ? Ces femmes et ces hommes hérauts d’un Etat centralisé
et centralisateur, c’est-à-dire froid et bureaucratique, saturent la vie politique
française depuis bien trop longtemps déjà. Et contrairement à ce que l’on
pourrait penser, ils proviennent de tous les horizons imaginables. La gauche
socialiste loqueuse que nous évoquions, la droite obèse prompte à s’engraisser davantage
sur le dos des contribuables pour ressembler aux bœufs, les mélencholâtres désireux
de mettre un point final à la Vème République pour changer de maître, Zemmour et
ses sbires aussi aveugles qu’une taupe malade quant à la situation régionale, et
les macrocéphales qui se prennent pour Jupiter ou ses lunes alors que leur
conception de l’identité locale est proche de la composante principale de
l’espace : le vide. Difficile de ne
pas songer aussi à ces hommes et ces femmes cravates de l’ENA[10] ou
de Sciences po occupant les administrations et les ministères et qui expliquent
à la plèbe ce qu’est une vache en consultant leur brique de lait. Ou encore à
ces barons locaux qui changent d’héraldique en faisant confiance à la girouette
de nos clochers, pourvu qu’ils puissent conserver la mairie, le canton ou la Com
Com aux prochaines élections. Tous les passer en revue tournerait au supplice, et
je ne suis ni Sisyphe ni Tantale. Et comme cet article se fait déjà long, et
qu’il convient de conclure, je vais le clore à la manière du Conseil d’Etat :
Considérant que le mal des
nations survient lorsqu’elles oublient leur histoire.
Considérant que le
jacobinisme est par nature amnésique.
Considérant que la
démocratie est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.
Considérant que le droit est
le garant de ce principe démocratique.
Considérant qu’en l’espèce
il n’a pas été respecté.
Considérant que la fusion de
la Franche Comté avec la Bourgogne a méconnu le processus démocratique en
s’affranchissant du droit.
Mais attendu qu’un acte qui
ne se fonde pas en droit n’a aucune existence.
Attendu par ailleurs que le
sommeil de la Franche-Comté n’est pas une fatalité, et qu’il nous appartient de
la réveiller.
Nous régionalistes et
girondins, orphelins trop longtemps :
DECLARONS la région
Bourgogne Franche-Comté nulle et non avenue.
INVITONS les citoyens
franc-comtois et bourguignons à retrouver leur ancienne région et leurs
institutions, qui ont seulement été suspendues.
APPELONS les régionalistes
et girondins de tout le pays à s’unir pour faire front commun contre le
jacobinisme.
Nils Dollfus-Donati, régionaliste et girondin à ses heures perdues.
[1] https://www.francebleu.fr/infos/politique/et-si-la-franche-comte-rompait-avec-la-bourgogne-60-des-franc-comtois-le-souhaitent-1646415961
[2] https://www.bva.fr/sondages/elections-regionales-2015-les-francais-et-le-redecoupage-des-regions/
[3] le 17 juin 2014
[4] Etude
d’impact, 17 juin 2014
[6] On peut songer à la région Rhône-Alpes,
à l’Alsace ou encore à l’Aquitaine)
[7] Elodie Derdaele,
« La fusion autoritaire des régions », Numéro 37, Civitas
Europa, pp. 241-268 (https://www.cairn.info/revue-civitas-europa-2016-2-page-241.htm#no16)
[8] Pour en
savoir plus sur la revue Civitas Europa : https://www.cairn.info/revue-civitas-europa.htm?contenu=apropos
[9] la France est le dernier pays du
Conseil à l’avoir signé, ce qui s’explique principalement par les
ralentissements opérés délibérément par le Conseil d’Etat pour repousser son
entrée en vigueur…
[10] ou de l’INSP, peu importe
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